Je suis en train de sombrer dans la folie à nouveau, j’en suis sûre: je sais que nous n’arriverons pas à bout de ces horribles crises. Et cette fois, je ne guérirai pas. Je recommence à entendre des voix, et n’arrive pas à concentrer mes pensées. Alors vais-je faire ce qui semble la meilleure chose à faire. Tu m’as rendue parfaitement heureuse. Tu as été pour moi ce que personne d’autre n’aurait pu être. Je ne crois pas que deux êtres eussent pu connaître si grand bonheur jusqu’à ce que commence cette affreuse maladie. Je ne peux plus lutter davantage. Je sais que je gâche ta vie, que sans moi tu pourrais travailler. Et je sais que tu le feras. Tu vois, je n’arrive même pas à écrire correctement. Je n’arrive pas à lire. Ce que je veux te dire c’est que je te dois tout le bonheur de ma vie. Tu t’es montré d’une entière patience avec moi et indiciblement bon. Tout le monde le sait. Si quelqu’un avait pu me sauver, c’eût été toi. Tout m’a quitté excepté la certitude de ta bonté. Je ne veux pas continuer à gâcher plus longtemps ta vie. Je ne crois pas que deux personnes auraient pu être plus heureuses que nous l’avons été. »
NDLR. Traduction de Anne Damour pour « Les Heures » de Michael Cunningham.
Lettre laissée par Virginia Woolf, le 28 mars 1941, sur la table de Léonard, son mari, avant de se laisser glisser dans la rivière Ouse, près de Monk’s House, sa maison de Rodmell, ses poches remplies de pierres. Il semble qu’elle souffrait de trouble bipolaire…