« Les os des filles » de Line Papin…

Line Papin a 23 ans. 
Vous avez bien lu : 23 ans !
Et trois romans à son actif.

Si je n’ai pas encore lu les deux précédents (lacune que je comblerai dès que possible), c’est le titre (très fort) tout d’abord qui m’a interpelée et son passage à La Grande Librairie qui m’a conduite irrésistiblement chez un de mes libraires de quartier.

23 ans…

Quelle beauté, quelle force dans son écriture ! 
Et quel style mon Dieu !
Cette fille est incroyable, surprenante, bluffante. Il est vraiment difficile de s’arrêter à un seul qualificatif (lisez-la, essayez et on en reparle).

Alors oui forcément, un lieu en particulier ne pouvait que me parler : l’Asie du Sud-Est, endroit de la planète que je chéris tant.
En l’espèce, le Vietnam.
Je ne suis pas reliée à ce continent par mes origines. Je le suis par le coeur. 
Mais cela ne suffisait pas pour me convaincre, comme seul l’avis de François Busnel malgré tout le respect que je lui dois. 

L’histoire, celle de l’écrivain, est posée sur le papier qui sent bon l’encre fraîche (le livre est paru en mai 2019).
Subtile et pudique : son côté asiatique.
Avec force et une plume sublime, terriblement percutante : son côté Français. 

Un sang mêlé, pour mieux habiter le monde et la Littérature.

« Le pied droit sur l’un, le pied gauche sur l’autre »

Dans les pas de son pays d’origine.
Dans les pas de sa famille.
Dans ses pas. 
Des os. 
Ses os en forme de plume. 
Ses mots. 

Grâce à son talent de conteuse , les pages nous livrent l’histoire du Vietnam depuis 1946 et celle des femmes qui ont jalonné son jeune parcours.
L’Histoire dans l’histoire : une magnifique imbrication ! 

De sa double culture, l’écrivain essaie de répondre à des interrogations légitimes comme le déracinement et l’identité (« Pourquoi être partis ? », « Ne plus se sentir chez soi », « Se sentir étrangère ».)

C’est l’histoire d’une petite fille que l’on a déracinée sans lui demander son avis.
Elle. Et ses os. Ces os sur lesquels elle a failli y laisser sa peau.

« La petite fille exilée dû avoir recours à beaucoup d’imagination.
(…)
Mais déjà quelque chose mourait en elle : la joie »

Anorexie. 
Douloureux sujet qu’elle évoque à la fois d’une manière très intense mais aussi avec une incroyable retenue.

« Rien ne fonctionnait plus dans cet organisme en guerre »
« Elle avait froid et mal »

C’est l’histoire d’une maladie d’amour pour une terre, une ville, une maison, des personnes…

Hanoï, la région tourangeaise, Paris… 
Des os que l’on a trimballés, sans se soucier de qui les compose. 

« Elle avait quinze ans, et les bleus en héritage,
les os en héritage, la mort en héritage »

C’est l’histoire d’un amour pour la Littérature qui lui a fait « accepter » une hospitalisation nécessaire…

« Elle me sauve la vie, elle occupe mon temps,
elle m’extrait de ma guerre un instant »

Quelques allers-retours aux sources plus tard, c’est l’histoire d’une jeune femme à la recherche des failles, des interstices. Pour mieux comprendre. Pour mieux se comprendre. Pour mieux retrouver les siens. Pour mieux se retrouver. Pour mieux se libérer. 
Ou comment partir, pour mieux revenir… 

Line Papin signe ici un livre personnel, intime mais également universel quant aux sujets abordés. 
Passer du « elle » au « tu » au « je » contribue à la force dramatique du récit roman et lui confère une maturité, une distance brillamment orchestrée.

Ce livre est un cri, le sien, jusqu’à ce qu’elle retrouve la faim de la vie.

« Les os des filles » est un énorme coup de coeur.
Je recommande vivement sa lecture. 

Note de l’éditeur (Stock) : 

« Tu avais dix-sept ans alors, à peine, et tu as pris l’avion, seule, pour retourner à Hanoï. Tu vois, j’en ai vingt-trois aujourd’hui, et je retourne, seule, une nouvelle fois, sur les lieux de ton enfance. Tu es revenue et je reviens encore, chaque fois derrière toi. Je reviendrai peut-être toujours te trouver, trouver celle qui naissait, celle qui mourait, celle qui se cherchait, celle qui écrivait, celle qui revenait. Je reviendrai peut-être toujours vers celle qui revenait, vers les différents coffrets d’os, vers les couches de passé qui passent toutes ici. »

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